RDC : Le Sénat proroge l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, malgré les doutes sur son efficacité,Voici pourquoi
Vendredi 2 mai 2025
La chambre haute du Parlement congolais a une nouvelle fois adopté, sans débat, la prorogation de l’état de siège dans les provinces troublées de l’Ituri et du Nord-Kivu. Cette décision, la 98e du genre depuis mai 2021, suscite autant de soutien politique que de critiques citoyennes quant à ses résultats réels sur le terrain.
Réunis en plénière au Palais du Peuple, les sénateurs ont voté massivement en faveur du projet de loi présenté par le ministre de la Justice, Constant Mutamba. Sur les 75 membres présents, 73 ont approuvé la mesure, deux se sont abstenus, et aucun ne s’est opposé. Ce vote autorise la prorogation de l’état de siège pour une durée de 15 jours, à compter de son adoption.
Le texte législatif, court mais symboliquement lourd, est composé de trois articles. Le premier reconduit l’état de siège dans les deux provinces de l’Est ; le deuxième abroge toute disposition contraire ; et le troisième stipule que la loi entre en vigueur dès sa promulgation. Cette prorogation arrive à la veille de la fin de la précédente, qui avait débuté le 21 avril et devait s’achever le 6 mai. Oue
L’état de siège a été décrété pour la première fois en mai 2021 par le président Félix Tshisekedi, dans le but de rétablir l’autorité de l’État et de lutter plus efficacement contre les groupes armés actifs dans l’Est de la République démocratique du Congo. Dans le cadre de cette mesure, les autorités civiles sont partiellement remplacées par des responsables militaires, qui se voient confier des pouvoirs élargis en matière de sécurité, de justice et d’administration.
Concrètement, cela signifie que les gouverneurs des provinces, les administrateurs des territoires ainsi que d’autres responsables sont issus de l’armée ou de la police, tandis que certaines libertés fondamentales peuvent être restreintes au nom de la sécurité. Couvre-feux, arrestations administratives, restrictions de déplacement ou de rassemblement… autant de pratiques devenues courantes dans les zones concernées.
Malgré l’intention affichée de neutraliser les groupes armés et de pacifier les provinces de l’Est, les résultats sur le terrain restent mitigés. Les violences persistent, en particulier dans les zones rurales reculées, où la présence de l’État reste limitée. Plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales, de chercheurs et d’acteurs locaux soulignent que les populations civiles continuent de subir exactions, massacres, déplacements forcés et pillages.
« Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est un état d’exception permanent qui n’a pas permis de restaurer la paix durablement », confie un activiste de Bunia, chef-lieu de l’Ituri. Des voix s’élèvent également contre l’absence de transparence et le manque de contrôle parlementaire sur les opérations menées sous ce régime. Certains élus regrettent que ces prorogations soient devenues routinières, souvent adoptées sans débats, et parfois en l’absence de rapports d’évaluation clairs sur leur impact.
Malgré les critiques, le gouvernement congolais assume sa stratégie. Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a rappelé devant le Sénat que la situation sécuritaire reste extrêmement préoccupante, et que le retrait prématuré du dispositif risquerait d’ouvrir la voie à une recrudescence des violences. Pour les autorités, l’état de siège demeure un outil nécessaire dans une région où l’armée doit faire face à une multitude de groupes rebelles, certains étant soupçonnés d’appuis extérieurs.
Cette position est partagée par certains sénateurs, qui estiment que l’instabilité chronique dans l’Est du pays nécessite une réponse exceptionnelle. « Nous ne pouvons pas baisser la garde, tant que nos concitoyens vivent sous la menace permanente des armes », a déclaré un élu de la majorité présidentielle.
L’adoption de cette 98e prorogation montre la volonté politique de maintenir la pression sur les groupes armés. Mais elle souligne aussi l’impasse sécuritaire dans laquelle se trouve la RDC, trois ans après le début de l’état de siège. Alors que la communauté internationale appelle à des approches plus inclusives — mêlant dialogue, justice transitionnelle, développement et réforme du secteur de la sécurité —, Kinshasa semble miser pour l’instant sur la continuité militaire.
À mesure que les prorogations s’enchaînent, une question revient avec insistance : l’état de siège est-il une solution temporaire prolongée par défaut, ou une stratégie réellement capable de ramener la paix ? Une interrogation à laquelle ni le Parlement ni le gouvernement ne semblent pour l’instant vouloir répondre clairement.